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la visite

10 Septembre 2014 , Rédigé par Bruno SERIGNAT

 

 

       La voiture grise fit marche arrière et se gara en travers du trottoir. Son conducteur coupa le moteur mais n'en descendit pas. Légèrement penché vers l'avant comme s'il venait de suspendre un mouvement, les mains posées bien à plat sur le volant de direction, le docteur Jean-Yves Pellier observa quelques instants la rue bordée de pavillons presque tous semblables. Aucune circulation. Une femme poussant une voiture d'enfant fit un léger détour pour contourner son véhicule et il la regarda s'éloigner dans son rétroviseur. En soupirant, il s'empara de sa mallette sur sa droite et sortit de la voiture. Sur le trottoir, il vérifia le numéro de la maison qui lui faisait face. Le 27. Le 31 où il devait se rendre était par conséquent tout près. Il se mit tranquillement en marche. Le docteur Pellier était un homme d'une cinquantaine d'années, au visage énergique et aux cheveux poivre et sel, dont la haute stature dégageait une impression de bonne santé. Un bon point, se plaisait-il à penser, pour le moral de ses malades. Il possédait un regard gris, direct et perçant, qui jaugeait ses vis-à-vis avant que ceux-ci lui aient encore adressé la moindre parole. Toutefois, outre sa compétence professionnelle, ses patients l'appréciaient surtout pour sa jovialité réservée qui en faisait un interlocuteur attentif mais prudent, sachant couper court aux propos qu'il jugeait inutiles par une élocution soudain atténuée, presque doucereuse. Il s'apprêtait à accomplir sa sixième visite de la matinée. Encore deux et il pourrait aller déjeuner au petit restaurant du carrefour St Firmin où il avait ses habitudes. Il consulta sa montre : 11h40. Le jeudi, sa consultation ne démarrait qu'à 13h30. Il avait tout le temps.

          Le pavillon du 31 se dressait, gris et silencieux, derrière un petit jardin mal entretenu. Autant qu'il s'en rappelle, c'était la première fois qu'il venait ici. Un nouveau patient. La découverte du jour. Vaguement intéressé, il sonna à la grille et, sans attendre, il poussa la porte. Comme il s'avançait, une femme maigre et sèche, en tablier gris, vint à sa rencontre en se frottant les mains. Il ne l'avait pas vu sortir et il s'arrêta pour l'attendre.

                    - C'est le docteur ? demanda-t-elle, ajoutant immédiatement : ce n'est pas ici, Docteur. C'est au 3 de la rue Guynemer. Au deuxième étage. Vous verrez, y a qu'une porte. Devant l'air étonné du médecin, elle ajouta : là-bas, ils ont pas le téléphone. Alors, on a appelé d'ici... Comme si la remarque pouvait justifier en quoi que ce soit le déplacement supplémentaire. Peu désireux d'entrer dans une longue discussion qui, il le savait par avance, ne lui apprendrait rien d'autre et lui ferait perdre encore plus de temps, Pellier rebroussa chemin sans un mot tandis que la femme lui jetait :

                            - Vous voulez que je vous accompagne, Docteur ?

          Sans se retourner, Pellier lui fit un signe de négation de la main et se retrouva à nouveau sur le trottoir. La rue Guynemer était effectivement à deux pas et, depuis près de vingt ans qu'il arpentait le quartier, il savait que son début était dans le bon sens. Il repassa devant sa voiture, jetant au passage un regard distrait pour s'assurer que son caducée était bien en vue derrière le pare-brise. Il avançait d'un bon pas, le regard baissé, en balançant sa mallette. Il cherchait à identifier l'appel. Que lui avait donc dit Martine, la secrétaire ? Un homme qui avait de la fièvre à ce qu'il lui semblait se rappeler. Plutôt vague. Il haussa imperceptiblement les épaules. Il aimait bien savoir à l'avance de quoi se plaignaient ses patients. Un moyen de se préparer même si, parfois, les renseignements fournis étaient des plus fantaisistes.

          Le 3 de la rue Guynemer était un petit immeuble à la façade noirâtre dont le rez-de-chaussée s'ornait d'une devanture de magasin depuis longtemps fermée. Il l'avait remarquée une ou deux fois, en passant par là. Une ancienne cordonnerie à ce qu'il pouvait encore lire aux lettres à moitié effacées qui surplombaient la vitrine aux carreaux gris de poussière. Une masse impressionnante de prospectus, la plupart gondolés par la pluie, avait été glissée sous la porte. Le hall de l'immeuble était peu engageant. Obscur et étroit, il dégageait lui aussi une atmosphère d'abandon, de vieillerie irréversible. Les relents d'une odeur mal définie flottaient dans l'air. Une ancienne Javel, peut-être, mélangée à d'autres senteurs moins identifiables. Comme il aurait dû s'y attendre, la lumière ne se fit pas lorsqu'il appuya sur le bouton de la minuterie et, sans chercher plus avant, il s'engagea dans l'escalier dont les marches craquèrent sous ses chaussures. Mis à part le miaulement d'un chat quelque part à l'extérieur, on n'entendait aucun bruit ce qui, à vrai dire, n'était pas une surprise considérable dans ce quartier tranquille. Sur le palier du deuxième, une faible lueur émanait d'une ampoule électrique qui trônait au milieu du plafond, sous un cône dentelé en verre dépoli rose. Elle rajoutait assez peu au jour gris sourdant de la fenêtre entrouverte de l'escalier. Il avait dû l'allumer d'en bas. Le cône de verre rappelait au docteur Pellier l'éclairage de l'immeuble de sa grand-mère que, jadis, il visitait chaque mardi soir en sortant de l'école. Sans qu'il s'en rende compte, le souvenir ressuscité le fit sourire furtivement. Ne distinguant aucune sonnette, il s'apprêtait à frapper à la lourde porte de chêne lorsque celle-ci s'ouvrit sans bruit. Comme si on l'avait vu venir. Un homme au visage inexpressif, petit et plutôt âgé, en jeans délavés et pull-over rouge, le regarda deux à trois secondes avant de s'effacer pour le laisser entrer. Sans prononcer un seul mot.

       Contre toute attente, bien que loin d'être luxueux, l'appartement était propre et clair. Le court vestibule où se trouvait Pellier donnait sur une salle à manger dont on devinait la table et les chaises. On apercevait les contours d'un volumineux buffet et il y avait sur la table un bouquet de fleurs qui conférait à l'ensemble une note de gaieté. Toujours silencieux, l'homme en jeans désigna le fond du couloir à Pellier qui s'avança. Plusieurs portes fermées et une chambre, enfin, avec une femme jeune, elle aussi en jeans, qui se leva lorsqu'il s'avança.

                   - Bonjour, Docteur, on vous attendait. Le malade est dans l'autre chambre, celle de derrière, mais avant il faut que je vous dise...

          Pellier voyait effectivement une seconde porte. L'autre chambre, sans doute. Il leva des yeux attentifs vers la femme.

                    - Oui, reprit celle-ci, le... malade est un peu particulier. C'est quelqu'un qui a beaucoup souffert et qui a eu des problèmes... je veux dire, des infirmités, alors je tenais à...

                 - Pas de problèmes, murmura Pellier, je suis habitué, vous savez.

          Mais il était plutôt étonné. Habituellement, c'était en découvrant le patient que la famille expliquait au fur et à mesure la situation. Il entendait peu souvent ces sortes de préliminaires. L'homme en jeans avait disparu. La femme secoua la tête et reprit plus doucement :

                   - Je dois vous prévenir, poursuivit la femme,  parce que... vous risquez d'être un peu surpris... L'apparence du malade est... pourrait faire croire...

          La femme restait debout, immobile, sans lui faire signe d'avancer. Elle regardait par dessus son épaule comme si elle avait du mal à trouver les mots qu'elle cherchait, du mal à se faire exactement comprendre. Pellier commença à se sentir agacé. Avant que la femme ne reprenne, d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait souhaité, il s'exclama :

                   - Ecoutez, madame, comme je viens juste de vous le dire, j'ai l'habitude de rencontrer toutes sortes de cas... Alors, n'est-ce pas, si vous voulez bien...

          La femme tourna ses yeux vers lui, soutint son regard quelques longues secondes puis, semblant se résigner, elle ébaucha en direction de la porte un vague mouvement de la main.

           La chambre était plongée dans une demi-pénombre qui contrastait avec le reste de l'appartement. Elle n'était occupée que par un lit, une table basse, deux chaises vides, et ce dénuement étrange conférait à l'ensemble un caractère quasi-monacal. Pellier pouvait apercevoir une forme allongée sur le lit, emmaillotée jusqu'au visage par des draps et des couvertures. La forme était parfaitement immobile. Intrigué, il s'approcha lentement, découvrant un visage bronzé mais d'un bronzage anormal, inhabituel. C'est un Addison, pensa-t-il en une fraction de seconde. Ou plutôt non, cette teinte ardoisée... Une hémochromatose ? A moins que... Il leva les draps. Comme il le soupçonnait, le reste du corps était très précisément de la même couleur bleutée. Le sang du médecin se glaça soudain : l'homme n'avait que quatre doigts à chaque membre.

                   - Mais que... Je ne comprends... s'entendit-il s'exclamer. Pouvez-vous...

          La femme, dont il pouvait distinguer la respiration calme et régulière, se tenait immédiatement derrière lui. Il se tourna vers elle mais elle resta muette, le visage impassible. Approchant une des chaises, Pellier s'y laissa tomber, ôta sa veste qu'il tendit sans un mot à la femme et revint à l'inspection du malade. A présent qu'il pouvait le détailler, une foule d'anomalies et de particularités étranges lui sautait aux yeux : un thorax en entonnoir, inversé; une peau d'apparence épaisse, presque caparaçonnée; des membres grêles et bizarrement allongés; des organes sexuels atrophiques; l'abdomen parfaitement lisse, sans trace d'ombilic; et un visage confusément mongoloïde au nez presque absent et aux paupières étirées vers l'extérieur et le bas. Pourtant, Pellier aurait juré que l'individu n'était pas d'origine asiatique. Qu'il ne se trouvait en présence d'aucune des maladies génétiques ou des polymalformations dont il avait si souvent entendu parler à la faculté. Non, l'ensemble, très curieusement, n'était pas si dysharmonieux. Totalement hors du commun, oui, mais homogène. Comme s'il s'agissait d'une autre race, mieux d'une autre espèce. Oui, une autre espèce d'être vivant. Un être comme il n'en avait encore jamais vu. Il chercha à reprendre ses esprits.

                   - Pouvez-vous faire de la lumière, je vous prie ? Sa voix était calme, bien différente du tumulte intérieur qui l'habitait.

          La femme se dirigea vers la fenêtre dont elle ouvrit les rideaux. Avec appréhension, Pellier toucha le corps inerte. La peau était brûlante mais souple. D'une élasticité anormale. Il s'empara de son stéthoscope qu'il plaça sur la poitrine de l'étrange individu. Le cœur à ce qu'il entendait battait normalement mais très lentement ce qui était tout à fait en désaccord avec la fièvre apparente. En revanche, malgré tous ses efforts, il n'arriva pas à trouver de tension artérielle.

          Le premier moment de stupéfaction passé, Pellier commençait à se passionner pour cette consultation extraordinaire. Il pratiqua un examen le plus complet possible, un examen bien plus détaillé que ne l'aurait nécessité une simple hyperthermie, mais sans mettre en évidence autre chose que cette température élevée et isolée.

                   - Combien ? s'enquit le médecin.

                   - Pardon ?

                   - La fièvre, combien ?

                    - Heu... 40°. Enfin, à peu près ça.

          La femme avait imperceptiblement hésité.

                   - Dites-moi, ça fait longtemps qu'il est comme ça ?

          Cette fois, la femme répondit immédiatement, avant même qu'il ait achevé sa phrase.

                   - Depuis cinq jours, Docteur. Mais c'est seulement depuis hier qu'il dort tout le temps. C'est pour ça qu'on vous a appelé...

       La voix de la femme était posée. Comme s'il s'agissait d'une consultation des plus normales. Comme si le patient qu'elle présentait était semblable à n'importe quel autre. Cette assurance, ce calme impressionnèrent considérablement le médecin. Il s'apprêtait à se relever quand le malade ouvrit les yeux. Ce fut pour lui un choc formidable. L'individu le regardait avec de grands yeux bleu-nuit, immenses, insondables. Mais ils n'avaient pas de conjonctives ! L'iris - ou ce qui en tenait lieu - commençait immédiatement aux bords des paupières, leur conférant un caractère absolument inhumain, presque satanique. Le regard qui s'accrochait à présent à lui et qui le fixait sans la moindre peur apparente était effrayant, totalement étranger. La porte d'entrée sur un autre monde. De surprise, Pellier bouscula sa chaise qui tomba dans le silence. La femme le saisit gentiment par le bras sans qu'il proteste et le conduisit, l'esprit en déroute, jusqu'à la salle à manger où elle le fit s'asseoir. Après avoir fureté dans le grand buffet, elle se tourna vers lui en lui tendant un verre d'alcool qu'il avala sans un mot. A l'inverse du médecin, la femme était parfaitement calme. Elle paraissait même un peu ennuyée de sa réaction qu'elle devait juger inappropriée.

                   - Alors, Docteur, qu'est-ce que vous en pensez ? Vous allez lui prescrire quelque chose ? lui demanda-t-elle sur le ton d'une conversation banale.

          Il ne pouvait pas répondre. Qu'en pensait-il ? Il ne le savait pas. Que faire ? Que proposer ? Et d'abord, c'était quoi tout ce cirque ? Tandis que la femme l'observait en silence, il mit plusieurs minutes à extraire ses ordonnances de la mallette qu'il avait reprise sans s'en rendre seulement compte. Une pathologie infectieuse ? Proposer une antibiothérapie ? Le métabolisme de cet individu, quel qu'il soit, il n'en savait à l'évidence rien ! Il décida, puisqu'on attendait un acte de sa part, de rédiger une prescription classique. Comme s'il s'agissait d'un quelconque de ses malades. Que faire d'autre ?

                   - Vous savez, reprit Pellier, C'est un malade qui me semble, comment dire ?, un peu spécial. Peut-être, serait-il bon de demander d'autres avis... des spécialistes... L'hôpital, peut-être...

          Mais il se rendait compte, à mesure qu'il les prononçait, de l'absurdité de ses paroles. D'ailleurs, la femme qui lui faisait face secouait négativement la tête. C'était pour cela qu'on l'avait appelé lui. On ne voulait pas de publicité sur ce cas étrange. La femme s'empara de l'ordonnance qu'elle lut rapidement avant de chercher son regard.

                   - Docteur, il faut que je vous dise. C'est vrai que ce... malade peut vous apparaître... un peu spécial. La maladie dont il souffre est assez rare comme vous vous en êtes certainement rendu compte. Toutefois, aujourd'hui, ce qu'il faudrait... c'est avant tout s'occuper de sa température. Le soigner pour ça, vous comprenez. Pour le reste, vous savez, il est déjà pris en charge ...

          Elle se tourna vers la porte du couloir comme pour y chercher une aide. Même elle, son comportement détaché, sa décontraction, semblaient maintenant très suspects à Pellier. Il avait l'envie urgente de partir, de quitter cet appartement si banal et si oppressant, de réduire ainsi son malaise. La femme se retourna vers lui et reprit :

                   - Il faut bien m'écouter, Docteur. Tout ceci est et doit rester confidentiel, vous devez en être convaincu. Pour lui, pour le malade, vous comprenez, pour le protéger de... C'est avant tout à lui que je pense... Enfin, vous savez bien. C'est pour ça qu'il faut que ça reste entre nous. Nous comptons sur vous. Sur votre discrétion. Le secret professionnel, Docteur. N'est-ce pas ?

          Il répondit sans réfléchir.

                   - Le secret, bien sûr, mais... Dans certains cas, vous le savez bien, nous en sommes déliés.

          Il comprit immédiatement l'erreur qu'il venait de commettre en voyant pour la première fois se froncer le regard de la femme.

                   - Je veux dire... reprit-il, qu'en pareil cas, toutefois, il me semble que, oui, peut-être... Effectivement, oui. Eh bien, c'est d'accord. Cela ne sortira pas d'ici. Oui, bien sûr, je vous promets que cette visite restera strictement entre nous. Oui, je vous le promets. Pouvez-vous... sa carte vitale ? Non ?

          Il reprit son stylo, emporté par la force de l'habitude.

                   - Inutile, docteur. La feuille de maladie, c'est inutile. Le malade, heu, n'est pas d'ici et la Sécurité Sociale ne le rembourserait pas.

          Ce fut seulement quand il se retrouva dans la rue, tremblant encore de tous ses membres que le docteur Pellier s'aperçut qu'il n'avait même pas songé à se faire payer. On ne lui avait d'ailleurs rien proposé. Il haussa les épaules : c'était bien le dernier de ses soucis. Mais quelle action entreprendre à présent ? Car il était évidemment impossible d'en rester là. Pas de secret professionnel qui tienne quand la sécurité et la santé publique risquaient d'être menacées. Mais quelle menace pouvait bien présenter cet être stupéfiant ? Cette espèce d'extraterrestre ? Car ce n'était pas un être humain qu'il venait d'examiner, il en aurait mis sa main au feu. Prévenir la police ? La Préfecture ? Pourtant, si malgré tout, il y avait à tout cela une explication très ordinaire ? S'il s'agissait d'une maladie rare, d'un syndrome clinique exceptionnel et inconnu de lui, certes, mais parfaitement identifié ? Il aurait l'air intelligent ! A présent qu'il arrivait à rationaliser son aventure, il regrettait de ne pas avoir davantage interrogé la femme. Sans doute l'être bizarre, ce malade si particulier, avait-il consulté d'autres médecins ? Peut-être était-il réellement suivi par un service spécialisé ? Dans un autre pays ou même en France, comment savoir ? Il avait été surpris, c'était tout. Il s'était peut-être affolé pour rien... A moins que... Mais les yeux... Les yeux de l'être ... Rien de naturel dans ces yeux. Il eut un frisson rétrospectif. Non, il y avait dans tout cela quelque chose d'anormal, il était près à en jurer sur sa vie.

          Le docteur Pellier se dirigea en hâte vers sa voiture. Il y entra comme poussé par le Diable. Un extraterrestre, ici, dans cette banlieue ! Il haussa les épaules et se mit à rire brièvement car c’était trop absurde. Pourtant, il attendit quelques secondes derrière son volant, le temps que son cœur ralentisse, et il s'apprêtait à tourner la clé de contact quand la douleur, brutale, atroce, lui vrilla la poitrine. Il sentit son bras gauche qui déjà s'engourdissait. Une constriction transfixiante, en plaque, centrale, qui lui prenait tout le sternum. Pour le médecin qu'il était, aucun doute : un infarctus. L'émotion probablement. L'émotion qu'il venait de subir. Il poussa un gémissement profond et porta la main droite à sa poitrine. C'est alors que, malgré la douleur, il sentit l'objet dans la poche supérieure de sa veste. Il le sortit fébrilement sans cesser de gémir. C'était une sorte de galet jaunâtre et transparent, de consistance molle, presque visqueuse, mais qui ne collait pas aux doigts. D'où cette saloperie pouvait-elle venir ? La douleur lui fit jeter l'objet de côté, sur la banquette. Se penchant en avant, il écrasa l'avertisseur qui se déclencha dans la quiétude de la rue mais il n'y avait personne à proximité. Dans le brouillard de ses larmes, il pouvait voir au loin deux enfants qui s'étaient arrêtés de marcher et qui regardaient curieusement dans sa direction. Sans approcher. Il bascula sur son côté droit. Le silence revint. Il ne sentait presque plus la douleur mais sa vue se brouillait, devenait grisâtre et hachurée comme l'écran d'un poste de télé mal réglé. Sa dernière vision, imprécise et floue, fut celle du galet qui, à quelques centimètres de ses yeux, se dissolvait lentement, ne laissant sur le tissu du siège qu'une mince auréole marron.

 

 

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Copyright 943R1E1

année 1997

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